Songs for a Mad King
Mathieu Kleyebe Abonnenc
Mathieu Kleyebe Abonnenc
Mathieu Kleyebe Abonnenc
Mathieu Kleyebe Abonnenc
Mathieu Kleyebe Abonnenc

Mathieu Kleyebe Abonnenc

Mathieu Kleyebe Abonnenc

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Dans la suite logique de la Kunsthalle de Bâle qui, depuis plusieurs années, a pris le parti de présenter les artistes actuels les plus emblématiques de notre temps, il a été donné à Mathieu Kleyebe Abonnenc de mettre en scène sa pièce "Songs for a Mad King".

Cette pièce, ou plutôt cet assemblage de 3 pièces, nous plonge dans la démarche spatio-temporelle d'un artiste dont le travail consiste principalement à matérialiser de façon apparemment banale des éléments historiques et sociétaux cruciaux.
Déjà dans son intervention à la fondation Ricard de Paris en 2012 ("Evocateur", Prix Fondation d'entreprise Ricard), il avait présenté des barres de cuivre résultant de la fusion de Croix du Katanga, des pièces de monnaie traditionnelles qui, durant des siècles étaient devenues les symboles locaux de puissance et de richesse. Rachetées sur eBay et refondues, ces pièces devenues barres, exprimaient avec une force symbolique saisissante le drame de cette région du cœur de l'Afrique, avec toute ses richesses naturelles, leur appropriation colonialiste et les dégâts humains "collatéraux" résultant des efforts de "libération". En fin de compte tout drame et tout élément historique se trouve monétarisé ou résulte de monétarisme.

En juxtaposant aux objets de sa mère quatre de ces barres "katangaises" gagées au Crédit Municipal de Nîmes et rachetées par la Kunsthalle de Bâle, Mathieu poursuit la même démarche : les drames et souffrances familiaux se trouvent symbolisés par ces objets gagés qui retrouvent vie et leur place grâce à un processus monétaire dont le complice, cette fois la Kunsthalle, à l'instar de eBay pour le Katanga, n'a rien à voir dans cette affaire.
Ces travaux permettent ainsi de mieux saisir la profondeur de l'œuvre majeure présentée ici dans la grande pièce du 1er étage de la Kunsthalle : "Songs for a Mad King".

Cette pièce est érigée comme un mausolée dressé non pas en l'honneur mais plutôt en souvenir à Julius Eastman (1940-1990), un musicien compositeur-vocaliste américain qui, en 1973 a prêté son concours pour l'enregistrement à posteriori du mélodrame "Eight Songs for a Mad King" de Sir Peter Maxwell Davies (1969) qui raconte l'histoire d'un roi fou essayant d'apprendre à chanter à des oiseaux en cage. L'Histoire n'aura pratiquement retenu que cette performance de Eastman qui pourtant, usant de son origine noire et de son penchant homosexuel, s'est battu toute sa vie pour l'égalité des droits des minorités, exprimés en son temps par le "Black power" radical et les "gay rights". Sa musique intense et lyrique, associée à des titres provocateurs qui ont parfois conduit à des censures peu compréhensibles aujourd'hui, atteste de ses combats et de son engagement politiques.
La pièce montée à la Kunsthalle de Bâle par Mathieu Kleyebe Abonnenc, permet au public d'entendre les trois compositions de Eastman ( Evil Niger - 1979, Gay Guerilla - 1980, et Crazy Nigger - 1980) jouées sur quatre pianos à queue placés au centre d'un vaste espace dénudé et dirigés par le chef parisien Jean-Christophe Marti.

Il ressort de cette performance tout l'effort développé par Mathieu Abonnenc pour faire saisir la "convertibilité des valeurs".
Comme l'indiquait Kant dans la troisième de ses Critiques, "l'Art se situe à la jonction de l'universel et du compréhensible". L'évanescence des valeurs et leur réincarnation sous d'autres formes est un concept universel illustré grâce aux efforts de Mary Jane Leach, une ancienne collègue du compositeur, qui fait ressurgir sous des fromes nouvelles les musiques d'un autre temps. La pièce musicale "Songs for a Mad King" fait écho aux "objets perdus" de la mère de l'artiste qui retrouveront vie grâce à la Kunsthalle qui les restituera à sa propriétaire initiale. Mathieu Abonnenc montre ainsi que l'appropriation et ses abus sont un sujet qui a sans cesse animé les sociétés, depuis toujours. C'est dans cette direction qu'il faut chercher l'universalité des travaux de l'artiste. Enfin la trilogie des oeuvres exposées développe et permet de comprendre, donc de rendre compréhensible la démarche d'un artiste qui n'a pas choisi la voie la plus facile pour faire valoir ses concepts.
 
Bernard Blum
Bâle, février 2013
 
 
Kunsthalle de Bâle, Steinenberg 7, CH-4051 Basel
du 03-02 au 24-03-2013 - www.kunsthallebasel.ch

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