Les 5 sens dans l'art contemporain
I've got a feeling, Musée des Beaux-Arts, Angers
 
Les 5 sens dans l'art contemporain
Les 5 sens dans l'art contemporain
Les 5 sens dans l'art contemporain
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Les 5 sens dans l'art contemporain
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Les 5 sens dans l'art contemporain
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Les 5 sens dans l'art contemporain

Les 5 sens dans l'art contemporain

Sculpture de Niki de Saint-Phalle devant le Musée des Beaux-Arts d'Angers

L'exposition "les 5 sens, I've got a feeling" que propose à Angers le musée des Beaux-Arts associé au musée de la tapisserie jusqu'au 7 janvier 2024, ne manque pas de surprendre, d'amuser, d'interroger. Que les œuvres d'art ne s'adressent pas uniquement à nos yeux mais qu'elles sollicitent aussi nos autres sens, n'est en effet pas une idée si évidente, bien qu'elle ne soit pas neuve dans l'art contemporain : on la voit questionnée et expérimentée dès les années 50 et 60, par le groupe Gutai ou Allan Kaprow, par exemple. Autour de cette idée l'exposition rassemble les œuvres récentes de 34 artistes du monde entier, et, ce n'est sans doute pas un hasard au vu du thème, des femmes pour la plupart. Elles sont réparties dans 6 salles aux thématiques distinctes, sans compter le Musée de la tapisserie.

Les conceptrices de l'exposition mettent en avant que c'est la crise du Covid qui en a suscité l'envie : il est temps désormais de redonner vie à nos sens après les privations qu'elle nous a infligés en nous sevrant de mouvements et de contacts, et d'en recouvrer ainsi la plénitude, en réactivant toutes les facultés de notre corps mises sous le boisseau pendant de trop longs mois. De fait, cette exposition est très ludique. Un panneau à l'entrée détaille les possibilités de jeu avec les œuvres, en vous incitant à une découverte active avec la main, les pieds, le corps entier. Encore faut-il que le visiteur se laisser aller à jouer, le Covid nous ayant conditionnés à des réflexes de défense excessifs.

Ludique en effet car, dans cette exposition, on tâte, on frotte, on se frotte, on s'assied, on s'allonge, on voit, on touche, on écoute, on sent, on marche, on éprouve et on imagine aussi - car on ne peut pas toujours malmener l'œuvre - des matières rêches, piquantes, lisses, rugueuses, sucrées, molles, dures, froides, visqueuses, lourdes ou légères…D'ailleurs, avant toute chose, c'est la grande variété des matières utilisées par les artistes qui frappe d'emblée : outre la toile ou le papier bien sûr, mais en petit nombre, le carton découpé, le sisal, le tissu, le bois, le béton, l'argile, le sel, la pâte à sucrerie, le plastique, le marbre, le verre, le métal, le cheveu, la moquette, et j'en oublie forcément… Cela donne déjà une idée de l'extrême diversité des objets présentés, la même matière, de plus, se trouvant exploitée de façon très différente d'un artiste à l'autre.

Le toucher après l'œil y est le sens le mieux traité, je veux dire, le mieux représenté. On vous incite soit à toucher l'œuvre directement, en posant la paume pour en expérimenter la texture, soit à tâter un échantillon placé à côté de l'œuvre pour mêler à la sensation oculaire la sensation tactile offerte ainsi. Et c'est une des découvertes que permet de faire avec clarté cette exposition : que notre vue, contient, enclot par l'imagination les autres sens. Ainsi poser la main sur un mur de parpaings, de béton coloré pour en découvrir la rudesse, les rugosités, n'ajoute pas grand-chose à la connaissance qu'a déjà permise la vue. On ressent avec le seul œil cette rugosité, ce relief cabossé : fruit de l'imagination bien sûr, mais fruit véritable néanmoins. Plus clair encore, un banc public dont l'assise est constituée de clous de métal dressés vers le ciel pique douloureusement dès qu'on l'aperçoit : nul besoin d'en frotter les pointes de clous pour en ressentir la douleur. Ce qui en dit long sur la force de l'imagination.

L'odorat et le goût, quant à eux, sont l'objet d'expériences plus ou moins convaincantes : Les tableaux dont la surface monochrome diffuse – est censée diffuser - une odeur citronnée ou terreuse au frottement des doigts ne réagissent plus : un tableau, un cadre plutôt qui n'a même plus son odeur à offrir semble bien inutile, reste l'idée…Pour le goût, c'est bien l'imagination qui est mise à contribution pour nous en apporter un ersatz car on ne peut évidemment pas porter à la bouche ces objets goûteux ou dégoûtants qui nous sont présentés à travers la photographie, comme des pastiches de peintures classiques de paysage ou de nature morte. Au demeurant fort réussis.

L'ouïe est l'objet d'expérimentations plus poussées et plus inventives. Cécile Le Talec installe, dans 3 salles du Musée de la Tapisserie, des objets d'art étranges, qui captent les sons de la nature et de l'univers : une tapisserie enroulée comme une cabane, où l'on se glisse, figure par son dessin en sommets étagés les lignes brisées des fréquences du lointain cosmos : on y écoute apaisé de vifs et mélodieux chants d'oiseaux, qui emportent loin l'imagination. Dans une autre salle, on pose le pied sur un parquet soudain sonore sous les pas du visiteur, à l'image du parquet rossignol d'un palais de Kyoto : le parquet délivre des sons variés, séduisants ou non (des chants d'oiseaux s'entremêlent aux sons lointains du cosmos), et en s'y déplaçant de latte en latte, le marcheur crée ainsi lui-même sa musique de façon aléatoire. L'idée est séduisante, poétique, le jeu divertissant, mais la musique convoquée, si elle vient de loin, n'est pas toujours des plus agréables aux oreilles. C'est la limite de l'exercice, qui ressemble parfois moins à une œuvre d'art qu'à une expérience scientifique ou une prouesse technique.

Ce qui séduit aussi c'est la transformation de matières naturelles ou artificielles recyclées en objets étranges et beaux ; et la réflexion que porte l'objet s'imprime d'autant plus en nous que la forme est belle, la métamorphose étonnante : par exemple, cette plaque transparente moulée de déchets divers qui semblent fleurir sous le plexiglas en un décor abstrait ; ces restes écrasés d'une carte du monde en plastique recréés en sculpture colorée. Ou cet éclatant tutu de cristaux de sel saillants et scintillants que l'artiste israélienne a recréé en le plongeant longuement dans l'eau de la mer morte, pour figer (éterniser ?) son jeune corps en mouvement enserré dans son tutu d'enfant : viennent s'y fondre mémoire personnelle et mémoire ancestrale, et même mémoire du spectateur à qui il évoque immanquablement en creux la jeune danseuse au tutu de Degas.

A l'évidence ces quelques exemples permettent de superposer une deuxième lecture : l'attention que les artistes portent aux sens, aux sensations, dénote bien souvent leur inquiétude devant le saccage de la nature et notre éloignement d'elle ; et l'on peut ainsi interpréter leurs créations comme une tentative pour réparer cette espèce d'amputation et renouer ces liens rompus. Ce qui n'interdit pas souvent dans la forme de l'humour, de la légèreté, de l'espièglerie.

On ne peut pas parler de toutes les œuvres réunies, certaines d'artistes reconnu(e)s, d'autres moins ; pourtant chacune est originale dans sa conception comme dans les intentions, et toutes ont en commun de chercher à renouveler leur rapport avec le spectateur, en le rapprochant d'elles et en l'impliquant. La lecture dans le catalogue des interviews des artistes présentés est à cet égard intéressante et permet de prolonger le regard sur leurs œuvres et de confronter intentions et réception.

L'exposition certes ne convainc pas dans toutes ses propositions, les intentions souvent complexes des artistes sont parfois difficiles à saisir de façon immédiate, mais elle a le grand mérite de secouer l'esprit du visiteur en lui soumettant des objets insolites ou des expériences variées, pour certaines inédites, en le conduisant sur des routes nouvelles dont on se dit qu'elles sont, pour certaines, encore à peine défrichées ; elle suscite curiosité, réflexion, goût du jeu et plus d'une fois admiration. On peut même gager qu'elle l'amène en fin de compte, en aiguisant ses sens, à prendre une conscience plus vive de ses perceptions, comme lorsque le monde extérieur nous apparaît sous des couleurs plus intenses au sortir d'une exposition de peintures ; et, dans l'espace du musée, à redonner vie à la peinture, à la sculpture, à tout objet d'art, qu'il soit d'aujourd'hui ou du passé, en les reliant davantage aux perceptions du corps et à l'espace où il agit.
 
Gildas Portalis
Angers, octobre 2023
 
 
"I've got a feeling, les 5 sens dans l'art contemporain", du 26 mai 2023 au 7 janvier 2024
Musée des Beaux-Arts et Musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine à Angers
musees.angers.fr

Commissaires d'exposition :
Chloé Godin et Marie Lozón de Cantelmi, conservatrice en chef du patrimoine aux musées d'Angers.

Artistes présentés (34 de 13 nationalités différentes) : Kelly Akashi (États-Unis) Pilar Albarracín (Espagne) Pauline d'Andigné (France) Tauba Auerbach (États-Unis) Alice Bidault (France) Dominique Blais (France) Pauline Boudry & Renate Lorenz (Allemagne) Tiphaine Calmettes (France) Maison CELINE (France) Gaëlle Choisne (France) Peter de Cupere (Belgique) Férielle Doulain-Zouari (Tunisie) Chloé Dugit-Gros (France) Mimosa Echard (France) Vidya Gastaldon (France) Shilpa Gupta (Inde) Judith Hopf (Allemagne) Eva Jospin (France) Nadia Kaabi-Linke (Allemagne) Anya Kielar (États-Unis) Kapwani Kiwanga (Canada) Koak (États-Unis) Sigalit Landau (Israël) Gaëlle Leenhardt (Belgique) Cécile Le Talec (France) Maison Margiela (France) Lulù Nuti (Italie) Elsa Sahal (France) Juliette Sallin (Suisse) Dorothée Selz (France) Studio GGSV (France) Wiktoria (Pologne) Elizabeth Willing (Australie) Ittah Yoda (France)

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