Dans le Nord de l'Italie, à Turin
La Fondation Mario Merz
 
 
Depuis le décès de l'artiste italien en 2003, on attendait que sa ville de prédilection lui rende un hommage de taille. C'est chose faite depuis que la "fondazione Merz" a ouvert ses portes au public le 30 avril dernier.
L'espace
n'est pas
indépendant
et
statique
L'espace
est
contrôlé
par
le temps

Fondation Merz
 
Vue extérieure de la Fondation Merz, © Tom Reisen
 
 
Située dans le quartier de Borgo San Paolo à l'ouest du centre ville, la fondation est abritée par un bâtiment industriel des années trente. Cet immeuble, construit en 1936, contenait à l'origine une fabrique Lancia, dont témoignent encore certains éléments comme l'emplacement des anciennes citernes à pétrole dans la cour extérieure. La fondation tire aussi parti des espaces externes, puisque la cour et le toit plat du bâtiment sont destinés à accueillir des œuvres. La fondation a ainsi 3.200 m2 à sa disposition, dont 1.400 sont utilisés comme surface d'exposition. Le parcours s'étend sur trois niveaux dans de vastes espaces clairs. Le design intérieur est minimal de sorte à mettre l'accent sur les œuvres présentées.

Outre un bel espace d'exposition, la fondation comporte également une petite libraire. D'ici la fin de l'année viendront s'y ajouter une bibliothèque et un centre d'études. La fondation a été créée afin de conserver, d'étudier et de rendre accessible la collection et les archives de Mario Merz. En effet, la fondation a vocation à devenir un institut de recherche incontournable sur l'œuvre de l'artiste et de ses contemporains.
L'exposition de la collection de la fondation alternera avec des projets d'expositions relatifs à des thèmes spécifiques. Des initiatives liées à l'art et la culture contemporaine seront également promues. Certaines manifestations auront un caractère scientifique et résulteront des travaux de recherche menés à la fondation.
Les œuvres d'art étant exposées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du bâtiment, l'ensemble forme une sorte de "paysage" artistique. Un véritable dialogue s'établit entre les œuvres, la mémoire et la structure du lieu. En cela, la fondation respecte la poésie de l'artiste, qui déclara : "L'habitation est une relation entre l'espace et le temps. Le temps est un créateur et un destructeur d'espace. L'espace n'est pas indépendant et statique. L'espace est contrôlé par le temps."
L'exposition inaugurale comprend des œuvres de toutes les périodes de création de Mario Merz. Une trentaine d'installations, de sculptures, de dessins et de peintures sont présentées sans chronologie précise. La présentation met de ce fait l'accent sur l'absence de temps, ce qui était une notion importante pour l'artiste. "Pour moi, le temps continue et ne s'arrête pas ; quand il revient, c'est le même temps, même si il est devenu différent. Cette perception de ne pas avoir le sens du temps me rapproche d'une manière qui n'est ni systématique, ni mentale, mais essentiellement physique, de certaines manières de penser orientales, qui n'ont pas de sens du temps écoulé."

Mario Merz (1925-2003) est célèbre pour ses œuvres formellement et symboliquement complexes. Ses installations sont des mises en scène de matériaux naturels, qui construisent un habitat ou définissent une version "naturaliste" de la logique. La spirale est certainement une des notions les plus importantes pour l'artiste. Elle symbolise l'évolution infinie et naturelle. Cet enroulement continu figure également la matière en expansion, la vie qui prolifère.

Mario Merz partage avec les artistes de "l'arte povera" (Germano Celant) un intérêt pour achever la synthèse entre la notion d'objet fabriqué et celle de nature. A partir de 1970, ce terme désigne un groupe d'artistes qui vivent autour de Turin : Giovanni Anslemo, Alighiero Boetti, Giuseppe Penone, Gilberto Zorio… Ces artistes croient que l'œuvre achevée est un intermédiaire pour une réflexion plus large sur l'énergie, le corps et la matière. Il s'agit de "re-mythifier" l'homme contemporain en l'unissant à nouveau à la nature. Ainsi, utilisent-ils des matériaux "pauvres" comme le bois, des fruits et légumes ou encore de la paille et de la cire. Par ce processus de "déculturation", il s'agit d'appauvrir les signes pour qu'ils ne soient plus que des archétypes.
 
Fondation Merz
 
Vue extérieure de la Fondation Merz, © Tom Reisen
 
 
Ainsi la table, autre élément primordial de l'œuvre de Merz, devient-elle "un morceau de sol soulevé, comme un rocher dans le paysage". La table est aussi le signe de la relation entre les êtres. "It is possible to have a space with tables for 88 people as it is possible to have a space with tables for no one" (1973) est un environnement de 24 tables en bois avec des tubes de néon. Chaque table s'agrandit progressivement par rapport à la suivante, de sorte qu'un nombre de plus en plus grand de personnes peut s'y attabler.
"Faire une maison, c'est tenir compte de la croissance" déclare l'artiste en 1969. Aussi, l'igloo est l'image de la maison primitive et inhabitable. Ce demi globe posé sur le sol est un espace, un absolu, un lieu protecteur, mais impénétrable à la fois. Du premier "Igloo de Giap" (1968) au récent "Spostamenti della terra e dell'aluna su un asse" (2003) ce sont pour Merz des représentations d'une "cité micro organique".
La suite de Fibonacci utilisée par Mario Merz à partir de 1970 trouve son équivalent plastique dans la spirale. C'est une autre représentation de l'espace et du temps en croissance. Dans cette séquence numérique découverte en 1202 par le mathématicien Leonardo Fibonacci, chaque terme est la somme des deux précédents (1, 1, 2, 3, 5, 8…). C'est un emblème de la dynamique associée avec le processus de croissance dans le monde organique. "Les nombres qui se multiplient sont aussi réels que les animaux qui se reproduisent" (1970).

Merz n'hésite pas à associer cette série mathématique avec des animaux sauvages. Dans "Coccodrillo Fibonacci" (1989), un crocodile empaillé est suivi par la suite de chiffres en néon. Les tubes en néon, énergie sensible, symbolisent la puissance créatrice. La matérialisation de l'énergie pure est un autre thème central de l'arte povera.
Des animaux féroces et imaginaires apparaissent surtout dans les dessins et les peintures. Ces dernières sont des toiles sans châssis ni cadre. La peinture est littéralement absorbée par la toile, de sorte qu'elle est apprêtée par la couleur plutôt que de servir de support. Les animaux retenus par Merz sont des bêtes sauvages et clairement primitives. Dans "La natura è l'equilibro della spirale" (1976) un véritable serpent est fixé sur la toile. Dans "Geco in casa" (1983), une toile de plus de 10m de long fait référence au petit lézard gecko. Pour l'artiste, les toiles d'animaux sont des "symboles organiques", des images de signes primitifs.

Mario Merz est un des artistes auquel va le mieux l'expression de "mythologie individuelle" (Harald Szeemann). Il est donc particulièrement réjouissant qu'une fondation soit consacrée à cet immense artiste. Dirigée par Beatrice Merz, la fille de l'artiste, la fondation Merz veut avant tout être un lieu d'échange et d'étude. Pour l'instant cependant, l'agencement et le contenu de la fondation semblent surtout s'adresser à des initiés. Il n'y a notamment pas de cartels, ni de panneaux explicatifs. Reste à voir si, à l'avenir, la "fondazione Merz" saura devenir ce lieu de rencontre souhaité par l'artiste.
Sophie Richard-Reisen
Turin, juillet 2005
 
Fondation Merz
 
Vue intérieure, © Fondazione Merz

Fondazione Merz, 24 via Lemone, 10141 Turin, de mardi à dimanche de 11h à 19h Tél : 0039 11 197 194 37, www.fondazionemerz.org
Ecrits d'artiste : Mario Merz, Voglio fare subito un libro, Turin, Helpfulmonster editore, 1985. (Le livre existe aussi en allemand chez Sauerländer, Aarau-Frankfurt)

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