Camille Claudel révélée…

Camille Claudel, l'âge mûr

Camille Claudel, l'âge mûr

Est-il possible










de regarder










l'œuvre de










Camille Claudel










en oubliant










la tragédie










de sa vie ?





















Invention










d'une statuaire










de l'intimité



Est-il possible de regarder l'œuvre de Camille Claudel en oubliant la tragédie de sa vie ? La déchirante liaison qui l'unit à Rodin et la réclusion de trente ans qui lui a été imposée, sont-elles si présentes qu'on ne peut contempler cette œuvre en elle-même, comme celle d'un artiste inconnu ? Qui, d'ailleurs, pourrait oublier l'émouvant visage, la voix passionnée d'Isabelle Adjani à jamais inséparables de la grande artiste ? L'actuelle exposition Camille Claudel révélée… par Boucher et Rodin, à Nogent-sur-Seine, pourrait bien apporter quelque réponse à ces questions qui se posent infailliblement.

En effet, quelque 70 œuvres du sculpteur sont présentées dans un éclairage inhabituel. Il est d'abord réconfortant de rencontrer Camille Claudel (1854-1943) chez elle, dans cete ville de Nogent-sur-Seine, où elle a vécu de sa douzième à sa dix-septième année et où est née sa vocation. "Les plus heureuses années de sa vie", selon sa biographe, Reine-Marie Paris, qui est aussi conseillère artistique de l'exposition. La jeune artiste trouve ici sa voie et fait son apprentissage chez son premier maître, Alfred Boucher, sculpteur estimable, bien oublié aujourd'hui.
L'exposition permet de voir quelques-unes de ses œuvres et de mesurer son influence sur son élève. Mais ce qui donne un cachet unique à cette présentation, c'est la provenance des œuvres : elles ont été rassemblées par la petite-fille de Paul Claudel, (donc la petite-nièce de Camille Claudel), au long d'une recherche passionnée de plusieurs décennies.

Camille Claudel, la valse Blot

Camille Claudel, la valse


Il y a dans cette collection une volonté de saisir l'artiste dans sa vérité humaine, de porter l'attention, en-deçà et au-delà des œuvres achevées, sur les ébauches, les essais d'atelier et les versions différentes d'une même œuvre, (Tête de vieil homme, La Valse, La profonde pensée). Rien d'une sélection quasiment officielle dans un catalogue connu, déjà figé pour la postérité, mais au contraire le plaisir de l'amateur de regarder une œuvre attentivement en la tenant dans la main, une façon de vouloir la saisir dans son devenir.

Autre surprise : la distance prise avec Rodin. Alors que toutes les autres expositions de l'artiste (à commencer par les superbes rétrospectives du Musée Rodin de 1984 et 1991) la présentent dans le sillage de celui-ci, ici Rodin occupe un seul des trois volets de cette présentation. Qu'on se rassure, sa présence est très forte (10 œuvres prêtées par le Musée Rodin) ; mais elle atteste que pour saisir le génie du maîttre, Camille Claudel était une élève hors du commun. C'est à lui seul, bien sûr, qu'elle doit cette fièvre intérieure qui dévore les corps, cette façon d'exprimer par le mouvement des muscles et les frémissements des épidermes les émotions de la vie intérieure. Mais l'exposition montre que cette grande leçon n'a pas été unique dans la formation de l'artiste.

D'Alfred Boucher (1850-1934) le public connaît (sans le savoir) la statue de Jeanne d'Arc à cheval qui parade devant l'église Saint-Augustin à Paris. Elle date de sa dernière période, d'artiste officiel. Le visiteur de l'exposition de Nogent-sur-Seine peut voir de lui dans le parc du musée un touchant groupe en bronze, La piété filiale. Mais il s'attardera devant ses premières sculptures qui mettent en scène des hommes au travail.
Ces célébrations des travailleurs des champs et des ateliers font partie d'un courant réaliste et ouvriériste qui a traversé l'art français au début de la Troisième République. La jeune Camille Claudel en aura retenu la volonté de s'en tenir au modèle dans la simple vérité vécue de son visage, loin de toute rhétorique. L'émouvante tête de La vieille Hélène en porte témoignage.

Camille Claudel, la petite chatelaine

Camille Claudel, la petite chatelaine


Le visiteur sera peut-être surpris de découvrir les trente sculptures de Camille Claudel réalisées après sa rupture avec Rodin. L'artiste glisse de l'expressivité passionnée et exclusive du corps nu, propre à ce dernier, à une science des attitudes plus élégantes. Des drapés très art nouveau enveloppent de plus en plus les corps. Un chef-d'œuvre tel que La Valse (quatre versions présentées) montre l'originalité de cette manière. Mais l'artiste ne s'arrête pas là, elle explore une nouvelle voie, profondément originale, qu'elle expose dans une lettre fameuse à son frère (reproduite intégralement dans le livre de Reine-Marie Paris, Camille Claudel, Gallimard 1984, pp.68).
J'ai beaucoup d'idées nouvelles, lui confie-t-elle. En effet. Et elle en donne quelques croquis étonnants, parmi lesquels on reconnaît Les Causeuses, (présentée à l'exposition de Nogent). Ce sont beaucoup plus que des "scènes de genre", come il a été souvent écrit. C'est l'invention d'une statuaire de l'intimité. De même que la sculpture ouvriériste a voulu montrer l'héroïsme sans gloire du labeur quotidien, la voie amorcée par Camille Claudel veut mettre en scène, me semble-t-il, le vécu d'un geste simple, dans l'intensité de l'instant. Elle s'attarde au moment qui s'échappe, au frôlement de l'air qui passe, et elle en fait sentir toute la densité. Cette voie nouvelle a été brutalement brisée par sa maladie.

Ainsi, le petit groupe qui représente une jeune femme agenouillée devant une cheminée, le front appuyé contre le marbre, La profonde pensée, semble anticiper, en 1898, la lettre déchirante que la recluse de Montdevergues écrira à son frère en 1932, (donc après 19 ans d'internement) : "O Dieu, que c'est ennuyeux, je voudrais bien être au coin de la cheminée à Villeneuve (la maison d'enfance où Camille a vécu de 4 à 12 ans), mais hélas ! Je crois que je ne sortirai jamais de Montdevergues au train où ça va" ! (Reine-Marie Paris, ouvrage cité, p.149). Peut-on vraiment regarder l'œuvre de Camille Claudel en oubliant la tragédie de sa vie, demandions-nous au début de cet article ?

Michel Ellenberger
Paris, mars 2003

Camille lisant

Alfred Boucher, jeune fille lisant, petit plâtre dédicacé à Camille Claudel

Si l'exposition de Nogent-sur-Seine est à voir sans faute par toute personne qui aime la sculpture, par tout amateur d'art, il y a une raison supplémentaire de ne pas manquer cette rencontre. La ville de Nogent-sur-Seine envisage la création d'un Musée Camille Claudel pour accueillir la belle collection de Reine-Marie Paris. Ce généreux projet se négocie en ce moment. L'exposition actuelle en est en quelque sorte la préfiguration. Son succès favorisera d'autant l'aboutissement de ce projet qui fera de Nogent-sur-Seine un pôle culturel et touristique majeur, à 1h30 de Paris.



"Camille Claudel révélée…" par Alfred Boucher et Auguste Rodin, Nogent-sur-Seine, Agora Michel Baroin,
Jusqu'au 4 mai 2003, tous les jours, sauf mardi, de 14 h à 18 h, samedi et dimanche, de 10 h à 18 h.

D'autres informations dans le GuideAgenda
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